C’était le 23 août 1969, un samedi, j’allais avoir 15 ans trois semaines plus tard. Ce jour-là mes parents avaient décidé d’aller tôt sur la plage de la Siesta afin de déjeuner ensuite vers 13h chez Clémence et Lolo, les patrons des Terraillers où ils comptaient fêter leur 16ème anniversaire de mariage. Nous avons donc quitté la plage vers 11h30 afin de « monter » à Bois-Fleuri nous changer à la maison pour redescendre ensuite au restaurant. Sur la route, nous avons rapidement aperçu un fin panache de fumée qui s’élevait au loin en direction des collines de Valbonne.
Plus nous nous rapprochions de Bois-Fleuri, plus le panache s’intensifiait et plus nous commencions à comprendre qu’il s’élevait du secteur de la Verrière où se trouvait la décharge de Valbonne nommée « trou de Beget », aux portes de la commune de Biot. Arrivés à la maison papa décida de prendre sa douche le premier et de s’habiller en pantalon blanc et chemise jaune pâle : les couleurs de l’été, probables canons vestimentaires de l’époque pour se rendre dans un restaurant à midi. Il voulait immédiatement aller voir le maire de Valbonne à 5 km, pendant que nous nous préparions maman et moi, pour l’informer des risques que ce panache pourrait faire courir si le vent venait à se lever. Monsieur le maire prenant son bain à midi, on fit attendre papa dans une antichambre pendant une bonne heure, juste le temps nécessaire qu’il fallut au vent justement pour se lever avec force et déclencher l’incendie.
Pendant ce temps maman et moi qui étions prêtes recevions le plombier Rodriguez de Valbonne qui avait décidé de venir juste à ce moment faire des essais de chaudière pour l’hiver. L’inquiétude de ne pas voir revenir papa montait quand le vent s’est emballé et quand les flammes ont gagné tout le sommet de la colline d’en face, secteur actuel de Sophia Antipolis. Papa avait pris la 4L Renault de maman pour aller voir l’édile et avait laissé sa R16 dans le garage sous la maison car elle était en panne. Tout à coup le vent a tourné et les flammes ont dévalé la colline tel un cheval au galop pour se diriger vers les habitations, passant par-dessus la Brague pour remonter de notre côté. Voyant cela, maman prit la décision qu’il ne fallait pas : fuir. Il était un peu plus de 13h. Ne sachant conduire qu’une 4L, après avoir littéralement jeté la caisse des documents personnels familiaux sensibles dans la fourgonnette du plombier, elle embraya la 1ère. M Rodriguez quant à lui réussit à faire démarrer la R16 pour retourner sur Valbonne. Notre garage était en contre-bas et il fallait remonter l’impasse des Tamarins pour s’échapper. J’attendais donc maman dehors en haut sur l’allée des Colibris quand je vis -dans un brouillard de fumée- arriver une personne hagarde, titubant, qui me dit être cardiaque que je fis aussitôt asseoir sur le muret près de moi en la rassurant et qui fut prise en charge par le plombier. Nous montions vers l’esplanade de Bois-Fleuri dans une telle fumée aveuglante que j’avais un pied à l’extérieur pour guider maman sur l’asphalte.
Arrivés sur l’esplanade la fumée et les flammes partant derrière nous vers Biot, nous avons tourné sur Valbonne. Dès le 1er km un embouteillage monstre nous a ralenti avec des véhicules de touristes, journalistes et cinéastes garés de part et d’autre de la route et des tas de personnes caméras et appareils photos parfois très sophistiqués vissés à l’œil, totalement inconscientes du danger. Nous avions tellement les yeux rivés à nous frayer un passage que nous n’avons pas vu papa nous croiser quelques kilomètres après, revenant de sa visite. Il nous a raconté plus tard être resté sans voix quand il a vu maman au volant de la voiture du plombier, moi à côté, suivie du plombier pilotant sa R16. A Valbonne, personne n’avait vu l’ampleur de la chose et papa qui en venait ne savait donc pas les proportions que cet incendie avait pris. Nous sommes restées chez le plombier jusque vers 18h, assez terrorisées par les proportions de cette catastrophe puis avons retrouvé papa dans le jardin qui avait bravement combattu les flammes un tuyau d’arrosage à la main, complètement bardé de noir de fumée et de suie. Je crois que ses beaux vêtements clairs ont fini à la poubelle.
Nous sommes restés en veille toute la nuit, seaux à la main, noyant les multiples reprises de feux dans la pinède. 3000 hectares venaient de partir en fumée. Ce fut ma première nuit blanche. Puis ce qui nous a encore plus frappés trois jours plus tard fut le paysage lunaire qui en ressortit après un gros orage. Tout était devenu noir avec quelques restes de troncs calcinés s’élevant vers le ciel sur un sol de cendres complètement désertique, apocalyptique. Puis la technopole de Sophia Antipolis naquit rapidement sur ces cendres.
MC juin 2019