Vers 11h du matin, on a commencé à voir beaucoup de fumée mais on avait l’impression que c’était très loin, on n’imaginait pas du tout que cela viendrait jusqu’à nous. C’était un jour avec un vent très fort, du mistral. Je me souviens que c’est arrivé le week-end où mon frère rentrait de son voyage de noces. Dans le quartier, on était alors plusieurs familles. On a commencé à voir François Torrelli, en face, dérouler tous les tuyaux et arroser sa maison. Je me demandais ce qui l’affolait tant ! Je ne pensais vraiment pas que nous serions touchés. Mon oncle nous rassurait « Ne vous inquiétez pas il y aura les pompiers » – mais on les a jamais vus ! Puis, tout à coup, notre voisin portugais est arrivé en hurlant « Que faites-vous là ? ça brûle !! » Le feu est passé derrière, par le vallon, on l’avait pas vu.
La voisine Torrelli m’a laissé sa petite fille pour aider son mari, j’étais enceinte et j’avais également ma fille avec moi. Nous avons pris quelques affaires et nous avons couru chez mon oncle qui habitait à côté. C’était un ancien, on se disait qu’il saurait quoi faire. De là, un autre habitant du quartier nous a dit qu’il fallait évacuer mais une fois arrivés en haut du chemin on a dû faire demi-tour à cause des flammes. A ce moment-là, tous les voisins du chemin se sont rassemblés un peu par coïncidence sur la route devant la maison et les serres de Mr Blanc. Il y avait Mme Perrier, d’une famille belge d’exploitants au bout des Soulières où tout a brûlé, elle est arrivée en voiture dans les flammes et la fumée – c’était impressionnant. Il faut imaginer que l’on ne voyait pas à un mètre à la ronde, on était entourés de fumée blanche, on aurait dit qu’il y avait du gaz. J’ai su par la suite que cette odeur venait des chênes qui quand ils brûlent produisent un gaz particulier. Cela faisait un bruit ! Mon ex-mari, Jean-Paul, était parti avec d’autres défendre la maison avec son tuyau d’arrosage. Je n’avais aucune nouvelle de sa part mais on était optimistes, on se disait qu’on allait s’en sortir et sauver la maison même si on se sentait impuissants face aux flammes. Tout est allé très vite. C’était effrayant comment le feu se propageait rapidement – le vent l’a poussé.
En parallèle, mon père qui vivait à Antibes entend une rumeur qui dit qu’il y a 7 morts aux Soulières. Affolé, il part en courant, à pied, mais la gendarmerie, qui avait barré la route, l’en a empêché. Heureusement, sur le chemin il a croisé d’autres gens qui lui ont dit qu’il n’y avait aucun mort.
Le feu a finalement filé, on a eu quelques destructions dans notre ferme agricole mais Jean-Paul a réussi a sauvé le reste. En fin d’après-midi, on a pu regagner nos maisons. Nos maris étaient épuisés de s’être battus contre le feu, nous étions hébétés face à tant de dévastation. Il n’y avait plus rien, plus un arbre. On a passé la nuit à se relayer pour surveiller un éventuel nouveau départ de feu. Il y avait beaucoup de solidarité entre nous. Avant, on était conscient du risque je pense, mais on était optimiste – on ne pensait pas qu’un feu passerait ici, on ne savait pas que le risque était aussi près.
Depuis, j’ai vraiment peur du feu, on est très vigilant. On voit comment ça peut partir. Il faut l’avoir vu – c’est incontrôlable. Avant l’incendie, on brûlait nos déchets par exemple, on ne l’a plus fait après.