" La chambre à air d’Éole était sa pièce de
prédilection. Il y passait le plus clair de son
temps. Il l’avait conçue comme une bulle
vaporeuse flottant au sommet de sa maison,
elle-même bâtie au sommet du plus grand
chêne de la propriété. Il y laissait entrer le foehn
et ses fragrances et tous les vents qui voulaient
bien l’effleurer de leurs ailes comme pour lui
insuffler une vie éternelle.
La chambre à air avait belle allure il est vrai.
Parfois, en y entrant, les vents l’étiraient comme
une aile, comme un nuage qui aurait voulu
décoller vers le ciel toujours plus lointain.
Éole et son fils Éolien que, très tôt, il avait initié
aux plaisirs du grand air, n’étaient guère du
genre à buller. Ils s’activaient de concert, alors
que le temps s’égrainait, à parachever leur
œuvre commune: la machine à marcher sur
les airs.
Ainsi passait les années. Leur bulle engrossée
par les vents oscillait au sommet du chêne.
Et, un jour de grand bercement, on put voir
père et fils dans l’azur, jouant à saute-nuages
sans aucune machine et sans aucun dommage!
Moralité:
Les machines ne font rien à l’affaire, seule la
conviction que le grand air nous est bénéfique
peut nous aider à décoller de la réalité et nous
insuffler l’énergie nécessaire à toutes les folies. "
Isabelle Pitchers 1ère du concours
" Pour trouver un répit à la moiteur de l’été,
Paulo plonge dans la fraicheur des sous-bois,
sur les rives de la Brague, laissant son vélo
cadenassé, au pont des Tamarins.
Il n’est pas rare qu’une brise vienne caresser
les branches des chênes, et fasse vibrer une
harpe éolienne dans les herbes, tandis que,
provenant des fourrés, de légers craquements
et bruissements trahissent les vies minuscules
qui s’agitent alentour. Il les guette, immobile
et concentré.
Parfois un merle se perche, un geai s’envole
dans un éclair bleu, mais plus souvent, c’est une
poule d’eau qui traverse le sentier avec de petits
cris pour se réfugier dans la rivière.
De tous les habitants de ce havre de verdure,
celle que Paulo préfère débusquer, c’est la
libellule. Elle ne manque pas d’allure quand
elle décolle dans le déploiement vaporeux et
frissonnant de ses ailes de dentelle, élégante
corseté de rouge ou de bleu. Elle peut tout
se permettre, faire l’hélicoptère, s’élever à
la verticale, puis surprendre par un vol
stationnaire dans les fragrances boisées de thym
et de mousse, et soudain, hop ! Un looping,
portée par le foehn de l’été provençal.
Après un bain rafraichissant dans une petite
vasque à l’eau cristalline qu’il connait depuis
sa tendre enfance, il s’étend sur la roche pour
observer, buller à loisir, et se laisser aller à
quelques rêveries bucoliques insufflées par les
merveilles de la nature.
Et puis quand l’intensité de la lumière baisse à
travers les feuilles, se levant d’un bond, il court
récupérer sa bicyclette sur le pont et s’élance
en pédalant avec l’énergie de ses douze ans,
nourrissant l’ambition de s’envoler sur ses
chambres à air.
Mais n’est pas libellule qui veut."
Sylvie Lemarchand 2ème du concours
Désir de Liberté
Une chambre à air conditionné
Surveillée
Aseptisée
Désinfectée
Fragrance irréelle
Sur un nuage ou l’aile
D’un ange
Ou d’un oiseau étrange
Volant à toute allure
Dans un ciel pur
État vaporeux
Parfois cotonneux
Souvent heureux
Une envie de buller
Sans désir de décoller
Seulement buller
Loin des combats éoliens
Voués à rien
Foehn ou mistral
Tout est égal
Plus rien
Ne te retient
Le doute
Quoiqu’il en coûte
La vie qu’on peut t’insuffler
Par des machines bien réglées
Est muette sans ces voix
Surgies de l’au-delà
Ces mots d’amour
De ce qui prient pour ton retour
Retrouver l’origine
La langue et ses racines
La joie enfin de respirer
Le désir de liberté
Lydie Navard 3ème du concours
« Poème sans chambre à air »
Une envie ce matin,
D’un instant éolien,
Décoller de l’ordinaire,
Sur ma peau sentir l’air.
M’éveiller dans une fragance,
L’odeur du thym sur le dôme,
M’enorgueillir de cette ambiance,
Le souffle du foehn tel un baume.
A vive allure rejoindre la Brague
Ses eaux douces et vaporeuses,
Craindre parfois ses vagues
Hargneuses et bagarreuses.
Se souvenir,
Garder confiance en l’avenir.
Buller sur le rivage,
Jouer sans avoir d’âge
Et regagner le village…
La nature insuffle en moi,
Ce moment de bonheur biotois,
D’aujourd’hui et d’autrefois ;
Donne-moi ta main,
Qu’il soit le nôtre demain,
Viens à tire d’aile,
Entends-tu mon appel ?
Aurélie C.
"On sentait bien que le printemps n’était plus très loin. L’air était doux, immobile, aile en suspension qui couvait ce temps du renouveau. Par instants, des fragrances délicates, mimosas et eucalyptus mêlées, infiniment légères, insufflaient à la nature toute entière une sensation de calme vaporeux, semblable au nuage qui se défait et déroule son écharpe cotonneuse.
François, comme chaque matin, avait emprunté le sentier du littoral, à pas comptés, ménageant son allure. A mi-parcours il s’était assis sur sa racine favorite, écoutant le ressac millénaire des vaguelettes venues mourir sur les rochers. Et puis, d’un seul coup, la mer s’était agitée sous l’emprise du foehn qui, sans crier gare, venait de se lever, faisant décoller des petites franges d’écume et faisant buller les remous d’une eau conquérante qui cherchait à s’infiltrer dans le moindre interstice et dans la multitude des alvéoles du chaos rocheux, alternativement chambres à air et chambres à eau, qui vibraient au rythme du reflux.
Et ce chant éolien, à l’heure du plein midi, donnait à François un sentiment de bonheur paisible."
Jean-Marie ROUAN
"Le dieu Eole décida de s’emparer du pouvoir une fois pour toutes, fatigué par les ravages causés par la pollution de l’air.
Les environs des grandes cités, les axes autoroutiers, les ports et aéroports n’étaient plus que de vastes égouts invisibles, voie royale pour la sournoise pollution due aux particules fines.
Ce Dieu du Panthéon antique convoqua une armada de créatures ailées pour l’aider à exécuter un plan de sauvetage.
Le message fut entendu au-delà de toute espérance.
Des nuées d’oiseaux firent vibrer l’air aux battements de leurs ailes colorées et soyeuses.
Même les chauves-souris offrirent leur appui et déployèrent leurs frêles membranes.
Les sauterelles par le frottement musical de leurs élytres stimulèrent, elles aussi, nombre d’insectes : papillons chatoyants, coccinelles pointilleuses, nuées de fourmis volantes transparentes de lumières, escadrons de libellules aux « ailes nacrées et frémissantes » comme le fit remarquer
Guy de Maupassant qui passait justement par là.
Toute la gent capable du moindre envol, s’activa à vive
allure pour tenter d’éloigner le fléau. Seules, les carpes des cours d’eau ralentis et stagnants, continuaient de buller auprès d’un énorme crapaud paresseux qui avait élu domicile dans un vieux pneu dépourvu de chambre à air, échoué dans le courant d’une onde nauséabonde. La révolution écologique avait encore du mal à prendre son essor pour décoller vraiment.
Le son des harpes éoliennes, stimulé par le foehn, n’arrivaient que trop rarement à insuffler aux hommes les vertus des fragrances parfumées d’un air vaporeux et pur.
Cependant leur mélodie, ne parvint plus à enivrer les hirondelles de passage, éperdues de ne plus apercevoir l’horizontalité reposante de leurs perchoirs de fils électriques. Ce désarroi n’allait pas tarder à déstructurer d’autres sphères de la vie des hommes.
Les ailes des avions s’immobilisèrent aussi. Pourtant « La Chute d’Icare » nous l’avait prédit !
L’Avenir aux contours incertains se voila des vapeurs floues émanant du fioul.
Eole avait encore fort à faire pour alerter l’univers sur le fléau des tankers sillonnant et polluant mers et océans et celui des oléoducs enfouis sous notre mère, la TERRE."
Janine Pincenati
Requiem pour un air délétère
Confiné, contraint à buller
Je rêve d’air pur,
De l’air de la mer,
De Biot, de la Côte d’Azur.
Je me rappelle,
Tu riais, tes cheveux flottaient,
Mon hydroptère filait
Allure éolienne,
Poussé par le foehn
Qui gonflait
Les voiles comme des ailes
Sur l’écume des vagues, il semblait décoller,
Volant entre ciel et mer
Nous étions heureux.
Où es-tu ?
Souvenir vaporeux
Dont il ne me reste plus qu’une fragrance,
Persistance d'une rémanence.
Puis, l’hiver est venu
Dans son sillage, le Corona qui tue.
Soudain, l’air t’est devenu rare
Tu souriais, tu suffoquais.
J’ai vu dans ton regard
Une lassitude, tu étais en partance.
Dans tes poumons la machine insufflait
De l’oxygène, chambre à air filtré,
Nid médicalisé, feutré.
Ma sollicitude semble vaine, « Bats-toi »
Lui dis-je, "Ne me laisse pas,
Tu es mon théorème,
Reste dans mon écosystème."
Elle me fait un signe
Insigne.
Ce n'est pas encore l'hallali.
Je lui dis
"Pense à la mer, à tout ce qu’on va faire
Arpenter les montagnes, l’air vif des sommets
Bientôt la fin de l’hiver"
Son souffle siffle
Moment décisif
Sera-t-elle un dommage collatéral ?
Un produit de consommation
Courante soumis à suffocation ?
Qu'annonce le tocsin ?
Tu me serres la main
Tu me dis "Tout va bien"
J'imagine, bientôt les vaccins
Est-ce le matin d'un nouveau demain ?
Circuits courts, production locale
Plus de vert, moins d'avions
Moins de grande consommation
Economie circulaire
Début d'une nouvelle ère,
Fin d'un air délétère ?
Anik Decologne
Jour de fête
A peine les lanternes de crépon ont-elles décollé sous les hourras que les lucioles se
fondent dans l’azur mauve au-dessus du village. Sur la crête juste en face, de brefs
éclairs de chaleur profilent un parc éolien d’hélices paresseuses. Poussées par un léger
foehn, mille bougies tremblotent dans le crépuscule et clignotent à l’unisson dans les
yeux des enfants.
D’ordinaire Léo adorait ces moments d’assomption qui clament le printemps, le
réveil des parfums, les rires d’enfants, les noces de l’air avec la terre.
Mais ce jour-là, Léo sentit qu’il peinait à rayonner. L’air était lourd, au loin l’orage
préparait ses munitions. En grimpant à vélo jusqu’au belvédère d’où partiraient les
montgolfières de papier, il avait crevé sur un roncier et dû changer la chambre à air.
Sans être superstitieux, il était d’humeur à y voir un signe.
Quand il reprend la bécane, une fatigue soudaine ralentit son allure. Le ciel a pris des
teintes violacées et l’air se sature d’électricité. Quelque chose cloche ou manque à
l’appel. Un sentiment inconnu jusqu’alors. D’un seul coup, il sait : le chemin a perdu
ses parfums vaporeux de jasmin et de chèvrefeuille, la fragrance épicée des lichens
sur les murets de pierre, les notes sucrées du figuier sauvage, le suc miellé des pins
maritimes. L’air est vide et les poumons brûlent.
Une fièvre brutale se jette sur lui comme un chien de combat. Coupe le souffle
comme on mouche une chandelle. La suite est plus opaque. Des voix bourdonnent
à ses oreilles. Il y a des mains gantées pour le porter avec un soin feutré, des phares
bleus dans la nuit, des néons défilant comme d’infinis tunnels, des géants cagoulés
pour lui fixer un masque à insuffler l’oxygène.
Il sent la machine ventiler ses bronches comme on pulse du gaz dans la pâte du verre
bullé de son enfance.
Combien de jours Léo flotte-t-il asphyxié comme un mulot entre les serres du grand
busard ?
Et puis un matin, il rouvre les yeux sur un air respirable : les ailes fanées de ses
poumons se déploient en jeunes feuilles d’acanthe. Humant les odeurs du monde, le
voilà qui sourit à l’éther et à la javel. De nouveau le sang bouillonne où Léo croit
percevoir le grand bal des cellules réparées.
Et c’est soudain comme si, par les fenêtres de sa chambre d’hôpital, il voyait s’élever
mille lanternes magiques dans l’azur délivré.
P. BRETON
Il arrive, il arrive
Je le sens depuis quelques jours
D’une allure hésitante, timidement il avance à l’image du ciel brouillon
Oscillant entre le bleu-le gris
Hier soir j’ai entendu ”peu peu peu, peu peu peu”
Le chant lancinant de la huppe m’insuffle le renouveau
Il arrive, il arrive
Éole a rappelé ses petits éoliens turbulents, Aquilon et Bise glacée
Il les a confinés dans leur chambre à air jusqu’à la mauvaise saison
Puis il a libéré Brise toute guillerette à l’idée d’aller batifoler avec ses amis Zéphyr et Foehn
L’effet fut immédiat, un friselis de plumes multicolores surgit de toute part
Décollé d’un hiver douillet, les passereaux apportent la bonne nouvelle
Il arrive, il arrive
Ce matin, en ouvrant la fenêtre sur jardin, il était là.
Il a déposé sur ma joue un doux baiser, léger comme une aile de papillon.
L’air transparent exhalait la délicatesse, la grâce, la saveur du bonheur
Je l’ai sentie avant de la voir à demi cachée sous la rondeur de ses feuilles
Cette fragrance violette qui accompagne celle des fleurs vaporeuses du mimosa
Le printemps est arrivé
Il ne me reste qu’à buller en regardant les primevères
Défroisser les couleurs de leurs corolles légères.
Mireille Jeanjean
Entre terre et mer, dans sa chambre à air conditionné, Michel ouvre la fenêtre et observe le ciel jusqu’à l’horizon, il attend…
Sa résidence d’écriture l’a mené dans ce village de verriers. Une idée insufflée par son ami Jean, pilote d’avion, qui en partant, s’est exclamé : « Lorsque je décollerai, je te saluerai de mes ailes ! »
Michel sourit en suivant la trace blanche et vaporeuse qui s’éloigne à vive allure dans le ciel d’azur.
Puis assis de façon lascive à son bureau, il accueille la paresse qui l’envahit, le laissant en proie à la seule idée de buller.
« Il me faut écrire » se dit-il soudain. Il décide alors d’offrir sa langueur à cette éolienne au loin, afin qu’elle la disperse au gré du foehn.
Michel reprend sa feuille blanche, respire avec délice la fragrance suave des mimosas sous sa fenêtre. Sa plume commence par ces mots : « Comme un avion sans elle… »
Chantal Recroix pour « Dis-moi dix mots »